Homélie du 5 juillet, 14ème dimanche du Temps Ordinaire Ez 2, 2-5; 2Co 12, 7-10 - Mc6, 1-6
En ce dimanche d’été, les textes de la
liturgie nous branchent sur un sujet qui n’est peut-être pas à proprement
parler divertissant mais qui pourrait néanmoins mobiliser quelques-uns de nos
neurones fussent-ils déjà en mode « vacances »: le rôle du prophète
et son impact dans la société.
La première lecture que nous avons entendue
est le récit de la vocation du prophète Ezéchiel. Cela commence ainsi: « L’esprit
vint en moi, il me fit mettre debout ». Cette indication n’est pas un
détail superflu, elle a en fait une réelle importance car le prophète est un
homme debout. Quand j’étais adolescent, France Gall chantait: « Il jouait
du piano debout, Quand les trouillards sont à genoux, Et les soldats au
garde-à-vous, Simplement sur ses deux pieds, Il voulait être lui vous
comprenez ».
Je ne savais pas à l’époque que ces paroles se référaient à
Jerry Lee Lewis dont la personnalité un peu fêlée avait quelque chose de
prophétique mais d’un prophétisme désespéré parce que sans Dieu… La grande
différence entre Jerry Lee Lewis et Ezéchiel c’est que dans le cas d’Ezéchiel,
c’est l’Esprit de Dieu qui va remettre le prophète debout lorsqu’il était à
terre …
L’Esprit qui meut le prophète est celui qui
résiste à la pesanteur, qui résiste aux lois d’un monde où tout est prévisible
et où tout tend vers le bas. Ne pas vouloir s’insérer dans un monde déjà
vieilli, ne pas vouloir se couler dans le béton d’une société sclérosée, mais désirer
apporter du neuf, c’est d’ailleurs le propre de la jeunesse. Un jeune ami
égyptien me faisait un jour cette confidence: « Je sens très
fortement la responsabilité qui est la mienne de changer le monde et cela fait
de moi quelqu’un de perpétuellement différent de mon entourage ». Et Jésus
nous dit dans l’Evangile: « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa
famille et sa propre maison ». En effet l’entourage de Jésus prétend le
connaître en le réduisant au déjà-connu : « N’est-il pas le
charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et
de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? ».
Réduire quelqu’un au déjà-connu c’est un des pires péchés car c’est l’empêcher
de faire surgir la nouveauté qu’il peut apporter. Le pire qui peut arriver dans
un couple c’est quand l’un dit à l’autre : « Je te connais ».
Dire à quelqu’un « je te connais », c’est l’enfermer dans le
déjà-connu et l’empêcher de produire du neuf : « Là, Jésus ne pouvait
accomplir aucun miracle ».
Le prophétisme c’est en fait l’éternelle
jeunesse d’une humanité qui ne se résout pas aux limites un peu déprimantes de
son état présent mais croit à la possibilité de s’élever, de devenir plus
juste, plus désintéressée, plus fraternelle, etc. Face à ce désir de
l’humanité, la révélation judéo-chrétienne vient proclamer qu’il y a tout un
Dieu qui de toujours à toujours est le grand protecteur de cet idéal d’humanité,
protégeant en quelque sorte l’humanité contre elle-même, contre toute tentation
défaitiste qui consisterait à se résigner – ce qui reviendrait peu ou prou à s’arrêter
de vivre. C’est pourquoi tous les prophètes de l’Ancien Testament s’expriment
toujours au nom de ce Dieu: « Tu leur diras : ‘Ainsi parle le
Seigneur Dieu...’ ». Et que dit-il ce Seigneur Dieu ? Au fond cela revient
toujours au même: « Je veux être ton allié dans la réalisation de ta vie,
de ton humanité. Sans cesse je viens renouveler ta jeunesse pour que tu
continues d’être un homme debout jusqu’à ton dernier souffle. Et lorsque tu me
rendras ce souffle, à moi qui te l’ai donné, crois bien que je serai assez
puissant pour te relever et te faire passer à une nouvelle vie, une éternelle
jeunesse qui ne connaîtra plus ni fatigue, ni déception, ni
découragement… ».
Ce message le prophète ne se contente pas de
le proclamer, il est appelé à le vivre: vivre de la présence de Dieu qui
ne cesse de venir au secours de son humanité si faible et menacée pour lui
faire donner sa pleine mesure. C’est ainsi que l’a compris Saint Paul après
avoir prié pour être délivré d’une limite personnelle qui le faisait souffrir,
lorsque Dieu a répondu à sa prière en lui disant, comme nous le lisons
dans la deuxième lecture: « Ma grâce te suffit : ma puissance donne
toute sa mesure dans la faiblesse ». Pour le prophète, les difficultés
rencontrées ne sont au fond que l’occasion de proclamer plus fortement encore
le message dont il est investi : « Dieu est celui qui renouvelle ma
jeunesse », comme le dit ce verset du psaume que le prêtre dit en montant
à l’autel dans la messe tridentine : Introibo ad altarem Dei, ad Deum qui
laetificat juventutem meam !
La dernière difficulté que le prophète aura à
affronter au terme d’une longue jeunesse c’est évidemment le grand âge et la
mort. Ma grand mère aimait à dire: « Jusqu’à 80 ans, on est jeune.
Depuis je ralentis… ». Jésus utilise pour décrire la vie humaine l’image
d’une longue gestation, comme si l’homme était appelé à participer à son propre
enfantement à la vie nouvelle par delà la mort. Avec cette image de la
gestation, on peut comprendre que les derniers temps soient plus lourds que le
début mais une chose est sûre, « quand l’enfant est né, (la mère) ne se
souvient plus de son angoisse, dans la joie qu’elle éprouve du fait qu’un être
humain est né dans le monde » (Jn 16,21).
Au seuil de cet été puissions jeter sur
nous-mêmes et sur les autres un regard prophétique, un regard d’émerveillement
sur tout le neuf qui peut encore être fait. Que cet été nous donne l’occasion
de ne plus dire à l’autre, ou même à soi-même : « Je te
connais ». Alors le neuf pourra se produire ! |